La tragédie du Donnacona no.1

La tragédie du Donnacona no.1

Si le passé est parfois garant de l’avenir, il arrive que les choses qui ont existé dans les temps anciens disparaissent pour ne jamais revenir. C’est pour ne pas les oublier que nous racontons l’histoire des monuments de notre passé. Après la fermeture de l’usine centenaire de Donnacona, nous rappelons, dans le cadre de nos capsules historiques hebdomadaires, un événement qui a fortement marqué les esprits de l’époque. En 1942, une barge de la compagnie Donnacona Paper Inc. sombre dans les eaux du Saint-Laurent, emportant avec elle ses six membres d’équipage.

 
À cette époque, la Donnacona Paper utilisait des barges comme moyen de transport par voie maritime. La production de l’usine était exportée dans l’est des États-Unis (le journal The New York Times était d’ailleurs un partenaire de la première heure) par la rivière Richelieu, jusqu’au lac Champlain et ensuite par la rivière Hudson.
 
Dans les années 1920, puisque l’approvisionnement en bois provenant des terres de la compagnie situées plus au nord de l’usine qui était acheminé par les flots de la Jacques-Cartier était insuffisant, on a décidé de trouver de nouvelles sources de bois de pulpe. Deux barges de 165 pieds ont été construites et sont entrées en service en 1929. La Donnacona Pulp and Paper possédait des installations à Sault-au-Mouton, sur la Côte-Nord. Les deux nouveaux navires, le Donnacona no.1 ainsi que le Donnacona no.2 furent ainsi mit à profit pour acheminer le bois des forêts de la Côte-Nord vers Donnacona, à raison de 250 cordes par voyage.
 
Si l’Europe était à feu et à sang en 1942, la température au-dessus du fleuve Saint-Laurent, dans la nuit du 26 au 27 octobre, laissait présager une tempête. Cela n’a toutefois pas empêché l’équipage du Donnacona no.1 de continuer sa remontée du fleuve. En provenance de Sault-au-Mouton, il menait ses 250 cordes de bois à la papeterie de Donnacona. Étaient à bord le chef ingénieur Gérard Lavoie, de Petite-Rivière-Saint-François, le matelot Roméo Boulianne, de Donnacona, ainsi que le capitaine Gérard Fournier, son frère le cuisinier Ernest Fournier, l’officier Maurice Gagné et l’assistant ingénieur Rodolphe Morin, tous de Cap-Saint-Ignace.
 
Entre 4 et 5 heures du matin, la barge no.1 a croisé, en face de Saint-Jean-Port-Joli, son navire jumeau, le Donnacona no.2. Suivant la coutume, les deux capitaines ont fait mugir leur sirène pour se saluer.
 
Toutefois, quelques minutes plus tard, Marcel Boulianne, capitaine de la barge no.2, est étonné de ne plus voir la silhouette et les lumières du navire. Par précaution, il donne alors l’alerte à Québec.
 
Une corvette est immédiatement dépêchée sur place mais ne trouve rien : aucune trace des marins, de la barge où des billes de bois qu’elle transportait. Un bateau de recherche de Québec, le Detector, est aussi envoyé sur les lieux. On suppose que le Donnacona no.1 a coulé en face de Saint-Jean-Port-Joli, on concentre donc les recherches dans ce secteur.
 
Pendant plusieurs jours, celles-ci sont infructueuses. La compagnie s’empresse d’affirmer que la tempête qui a fait rage au cours de la nuit est la seule cause de l’accident.
 
Le mystère s’épaissit. On sait que le corps d’un noyé peut prendre neuf jours à revenir à la surface, il est donc logique de ne pas retrouver les marins. Toutefois, les billes de bois que le Donnacona no.1 transportait devraient être visibles à la surface du fleuve, mais ni à Saint-Jean-Port-Joli, à Baie-Saint-Paul, à l’Ile-aux-Coudres, à Cap à l’Aigle ou à la Malbaie on ne signale de telles découvertes. Un seul indice, plutôt énigmatique : une boîte en bois sur laquelle est inscrit le nom de Paquet est repêché sur la rive sud. Un navigateur du coin remarque d’ailleurs qu’il ne s’explique pas que la barge ait coulé si sa cale était remplie de bois. Selon lui, il aurait fallu qu’elle coule en plein chenal, ce mince couloir d’eaux profondes qui se trouve dans le centre du fleuve.
 
Ce n’est que le 30 octobre, 3 jours après le naufrage, que des indices commencent à apparaître. Deux résidents de l’Isle-Verte, occupé à ramassé des billes de bois flottant sur le fleuve, repêchent les corps de deux marins flottant au milieu du bois. Les cadavres sont facilement identifiés car ils portent sur eux leurs cartes d’enregistrement. Il s’agit de Gérard Lavoie et d’Ernest Fournier. Ces derniers avaient eu le temps d’enfiler leur gilet de sauvetage, ce qui laisse penser que la barge n’a pas coulé subitement. Le coroner confirme que les deux hommes sont morts noyés.
 
C’est donc à prêt de 200 kilomètres du lieu du naufrage que les corps ont été trouvés. Les navigateurs de l’endroit expliquent que s’ils ont parcouru une si grande distance, c’est que la barge doit avoir été engloutie dans le chenal. Le fort courant qui règne à cet endroit, en particulier dans ce qu’on appelle la Traverse de Saint-Roch-des-Aulnaies, aurait emporté les victimes plusieurs kilomètres en aval. On affirme aussi qu’une épave qui, à marrée descendante, coule dans le fleuve à cet endroit, a peu de chances de remonter à la surface, surtout avec les grands vents du sud-ouest qui soufflaient le matin du naufrage.
 
Le 11 novembre, on annonce que le Detector aurait trouvé, gisant au fond du fleuve, dans la Traverse de Saint-Roch, une embarcation qui correspondrait au signalement du Donnacona no.1. Ce n’est que le 13 novembre qu’on annonce avoir trouvé le corps de trois autres marins: Gérard Fournier, Rodolphe Morin et Maurice Gagné. Ce sont des insulaires
de l’Ile-aux-Lièvres qui ont fait la découverte.
 
Malheureusement, le corps du membre d’équipage restant, Roméo Boulianne, ne fut jamais retrouvé.
 
Ce n’est que tout récemment, en décembre 2007, que des chercheurs ont confirmé que l’épave qui gisait en face de Saint-Roch-des-Aulnaies était bien celle du Donnacona no.1.
 
Plusieurs ouvriers de la papeterie de Donnacona sont décédés dans le cadre de leurs fonctions. Des générations de travailleurs ont fourni, pendant un siècle, leur sang et leur sueur pour faire tourner les machines à papier de la Donnacona Paper, de la Dominion Tar and Coal, d’Alliance Produits Forestiers et d’Abitibi Bowater. Cet article leur est dédié.
 
Puissent les citoyens de Donnacona trouver une nouvelle fonction au site des Fonds Jacques-Cartier qui les satisferont pleinement et qui rendra hommage aux bâtisseurs du passé.
 
L’information contenue dans cet article provient d’archives du journal de l’Action Catholique. Merci à M. Normand Piché pour sa collaboration.

La barge Donnacona no.1

Les installations de la papeterie à l’époque de la tragédie.

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