Le glaisage des terres de Portneuf au début du vingtième siècle

Le glaisage des terres de Portneuf au début du vingtième siècle

Pour la troisième édition de nos capsules historiques hebdomadaires, nous vous proposons l’histoire de dynamiques agriculteurs du comté de Portneuf qui, constatant la pauvreté de leur sol, ont compris qu’il n’en tenait qu’à eu de prendre les mesures pour remédier à la situation. Leur solution? Épandre de l’argile dans leurs champs… beaucoup d’argile.

 
Au tournant des années 1920, le comté de Portneuf comptait plusieurs paroisses dont les terres étaient excellentes sauf que huit d’entre elles souffraient d’une terre sablonneuse, impropre à la culture du grain et de la plupart des légumes. Les mauvaises pratiques agricoles avaient, au fil des générations, ruinées les terres. Le manque d’humus ainsi que le caractère sablonneux du sol ne permettaient d’y cultiver avec succès que quelques plantes comme la patate et l’orge.
 
Puisque le foin et le grain poussaient mal sur leurs terres, les cultivateurs étaient obligés d’acheter à gros prix de quoi nourrir leurs bêtes durant l’hiver. C’est le curé Fillion qui, le premier, a recommandé aux agriculteurs d’amender les terres avec de l’argile. L’idée derrière cette proposition était simple. Le sable, parce qu’il est composé de trop grosses particules, est perméable à l’eau. Il ne peut pas retenir l’eau de pluie qui s’échappe rapidement dans le sol, emportant avec elle le fumier et l’humus, des matières organiques indispensables à des cultures en santé. La glaise, quant à elle, est composé de particules si fines et s’agglomérant de façon si compacte qu’elle est presque totalement imperméable et retient l’eau en surface. Donc, en mélangeant sable et argile, le curé Fillion prévoyait obtenir un sol équilibré qui serait apte à retenir les éléments essentiels à l’agriculture.
 
Il faut dire que l’idée, sans être à la mode, n’était pas totalement nouvelle. Alors que le curé Fillion faisait cette proposition, le cultivateur George Cayer indiqua  qu’il avait lui-même, depuis une trentaine d’années, transporté sur ses terres 7800 voyages de terre glaise et que le résultat était probant.
 
C’est alors qu’un comité de glaisage pris forme à Saint-Raymond. Présidé par M. Fillion, le comité comprenait aussi le vicaire Martel, l’agronome Jean-Charles Magnan, Georges Cayer, Léger Pagé, J. Denis ainsi que Cyrille Cantin. À leur suite, ce sont plus de 200 agriculteurs qui entreprirent de transporter des milliers de chargements d’argile sur leurs champs. Plusieurs autres paroisses ont ensuite emboîté le pas.
 
La tâche était simple mais demandait la mobilisation de nombreux hommes. Les agriculteurs se faisaient livrer l’argile provenant d’une carrière et appliquaient une couche d’environ cinq centimètres dans leurs champs. Pour niveler le tout, on utilisait ensuite une gratte tirée par un cheval. Les premières statistiques fournies par Léger Pagé, le surintendant du comité de glaisage, démontre le succès qu’a connu l’opération. La première année, c’est 51 561 voyages de 1200 livres d’argile qui ont été répandus sur 170 arpents.
 
Le témoignage d’Adélard Matte, de Saint-Basile, est un exemple de la réussite qu’a rencontrée l’opération de glaisage. «Cette année, dit-il, j’ai mis 300 charges de glaise de 1200 livres dans trois arpents de terre sablonneuse, labourée à l’automne 1921. J’y ai semé six livres de graines de trèfle rouge dans la dernière quinzaine d’avril. Dans la première quinzaine d’août de la même année, le trèfle était en fleurs et avait, en moyenne, deux pieds de hauteur. Il y a 13 ans que je cultive mon sol et je n’ai jamais vu ça».
 
M. Quetton Cayer abonde dans le même sens. Dans une prairie de trois arpents non glaisée, M. Cayer a récolté 20 minots d’avoine (un minot équivaut à 40 litres), 25 minots d’orge et 75 bottes de foin. Sur une prairie glaisée de trois arpents, le cultivateur a réussi à récolter 35 minots d’avoine, 40 minots d’orge ainsi que 300 bottes de foin.
 
Il ne fait pas de doute que le glaisage des terres a amélioré les récoltes des cultivateurs de Portneuf de façon significative. Outre ses impacts agricoles, on peut se douter que cette initiative a aussi eu des effets positifs du point de vue social et économique. Alors que notre époque nous invite à affronter une multitude de défis concernant autant l’économie et l’agriculture que l’organisation du territoire, cette campagne de glaisage entreprise par des comités de citoyens disposant de peu de moyens invite les communautés d’aujourd’hui à prendre en main les rênes de leur destin.
 
Cette capsule s’inspire largement du monumental ouvrage de l’historien raymondois Sylvain Gingras, «Québec, à l’époque des pionniers». 

Les cultivateurs s’approvisionnaient chez des propiétaires de carrières d’argile. On voit ici celle de Marcel Beaupré dans le rang Bourglouis. M. Beaupré est lui-même aux commandes de la pelle mécanique.

Le comité de glaisage de Saint-Raymond. De gauche à droite, on voit George Cayer, le vicaire E. Martel, Léger Paré, le curé Fillion, J. Denis, l’agronome Jean-Charles Magnan et Cyrille Cantin.

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